À quelques encablures de Marennes, la silhouette des cabanes à huîtres happe notre regard. Il suffit d’emprunter le pont de l’île d’Oléron pour s’extraire du continent et renouer avec ses fondamentaux. Lorsqu’on a la chance d’y aller depuis son enfance, les quatre points cardinaux de l’île se savourent comme la madeleine de Proust. La population oléronaise dira qu’il n’existe meilleur endroit pour apprivoiser les pulsations de cette marée ambigüe, à la fois cruelle et généreuse.
Tandis que cette région occidentale a toujours occupé une position stratégique dans l’espace militaire français, celle-ci a également conquis la plume de l’écrivain Pierre Loti qui surnomma Oléron « La Lumineuse », son fort taux d’ensoleillement annuel en étant la raison principale. D’autres artistes contemporains ont été contaminés par sa charge iodée en faisant honneur à cet horizon infini.
Enfourcher sa bicyclette pour parcourir les pistes cyclables s’avère être une chevauchée des plus séduisantes surtout lorsque nos visites inopinées amorcent un scénario d’exception. L’inventaire patrimonial et gastronomique qui jalonne les traits de l’île concourre à moduler cet héritage, en couronnant la réputation des bivalves domestiquées dans les parcs sous-marins.
Connexions entre terres et mers
Si les huîtres constituent un incontournable, essentielles dans nos assiettes, les églades (ou éclades) de moules, elles, ne passent pas inaperçues dans le paysage charentais. Dressées à la verticale et en spirale sur une planche de bois, ces dernières sont recouvertes d’aiguilles de pin qu’on embrase. Une fois ouvertes, elles sont prêtes à être dévorée !
Réserver une table Chez Mamelou n’a rien d’extraordinaire pour les amateurs de cette recette typique. Inutile de s’attendre au grand jeu, nous sommes accueillis en toute simplicité par le couple fondateur, dans une cabane au bord du chenal de la Baudissière. Une belle entrée en matière pour pratiquer le patois local.
Derrière les fourneaux du Relais des Salines, le chef Arnaud Giron met son grain de sel avec ses recettes évocatrices. Chaque met réveille nos papilles d’une saveur iodée mise sur ordonnance. La Farandole d’huîtres chaudes, la Chaudrée du Relais ainsi que la Ronde de Saint-Jacques aux endives confites permettent autant de satisfaire le palais des gourmets que la créativité du cuistot. Le point de vue qui se dessine autour de ces salines fait écho au Fort Royer, îlot typique composé de cabanes ostréicoles.
En poursuivant vers le sud, la façade estampillée du Bout Au Vent s’est invité sur le rivage de Saint-Trojan-Les-Bains. Les propriétaires ostréiculteurs se sont convertis en restaurateurs avec leur plat au four vedette: un duo d’huîtres et des moules pochées dans une réduction d’échalote au pineau des Charentes. La terrasse est un espace apaisé pour se régaler les pieds dans l’eau.
Perchée au sommet de la dune, le resto-snack À L’Ouest offre un écran panoramique sur la Grande Plage de Domino. Les pieds dans le sable, on ne se lasse pas de savourer la bière locale brassée par Les Naufrageurs dont le quartier général se trouve à 15 minutes à vol de mouettes. Et pour accompagner ce délicieux breuvage, le patron accommode une série de petits mets pour les convives qui apprécient les couleurs du crépuscule.
Durant la saison estivale, un sommet de chapiteau de cirque attire notre attention. Le maître d’ouvrage, Alexandre, propriétaire du Berliet transporte son restaurant itinérant d’une année à l’autre. Scellés à un scène musicale anticonformiste, la rôtisserie et le bar créent une ambiance plus que chaleureuse. Dans un esprit de camaraderie, ces longues tablées demeurent une invitation à l’échange de paroles avec les autres spectateurs.
Une autre étape répondant au nom des Écluses projette son aura à l’approche du port de plaisance du Douhet. Le restaurant, le bar et la discothèque sonnent comme une trilogie incandescente qu’on ne peut contourner. Selon l’heure indiquée sur votre montre, vous commanderez une crêpe signature ou un gin tonic à Yoyo et Martine, au service des « oiseaux de nuit » depuis 1974. En quittant la piste de danse, attendez un peu que les premiers rayons du soleil apparaissent pour contempler le continent et l’île d’Aix dans une lumière feutrée.
Les identités remarquables
La vitrine de Dominique Desanti révèle des bijoux ornementaux qui ne passent pas inaperçus. Son univers ludique embellit les femmes depuis les années 80 avec une approche « slow » de la production. Il y a dix ans, la créatrice évolue vers le grand format et commence à habiller les murs en combinant des parties naturelles avec un champs lexical poétique. Flotteurs, bois flotté, plumes, oeufs d’autruches, peluches…autant de parures uniques qui lui confèrent une réputation internationale.
Sur le même trottoir, la trame figurative d’Henri Deuil présage une croisière intimiste en front de mer. Cet amateur de voyage tombe en amour avec le paysage oléronais dès sa plus tendre enfance et choisit d’en faire un récit contemplatif. Il faut dire que les écluses à poissons, les forêts de pinède et les lieux de villégiature familiale forgent le caractère d’Oléron tout comme les toiles de l’artiste, submergées par un panel de détails éloquents.
Dominique Barreau est une figure de style à Saint-Pierre d’Oléron. Au premier regard, on remarque qu’il ne manque pas de partition créative autant dans sa technique que dans le choix de ses sujets. L’atmosphère navale articule l’une de ses thématiques avec la représentation de coques de navires de marchandises, massives et démesurées. S’il vous brûle l’envie d’admirer ses peintures à l’huile en direct, n’hésitez pas à pousser la porte de son atelier.
Les particules élémentaires
Le patrimoine défensif de l’île d’Oléron opère une protection rapprochée avec le panorama naturel que le littoral a bâti au fil des millénaires. Engagé dans un bras de fer incessant contre l’Angleterre, la France du gouvernement napoléonien envisage sérieusement la construction du Fort Boyard au début du XIXème siècle. À l’achèvement des travaux, celui-ci s’avère finalement inutile et se transforme en forteresse abritant des prisonniers politiques répartis dans 128 casemates. Successivement abandonné, pillé et occupé par l’armée allemande, le destin du bastion monumental entre ensuite dans la légende télévisuelle en 1990 avec l’émission intitulée Les Clés du Fort Boyard.
Du nord au sud, l’île porte les stigmates de la seconde guerre. Les côtes comptaient un nombre important de blockhaus pendant l’occupation. Baptisés par des noms d’animaux (ci-dessous Mammouth), ces ouvrages bétonnés servent aujourd’hui de squats et de murs d’expression. Sous l’effet du recul de la dune, ces derniers s’effondrent littéralement sur le terrain de jeu des plagistes. Jugés dangereux pour la population, ces vestiges sont un à un détruits par les pouvoirs publics. Une page d’Histoire se tourne à chacune de leur disparition mais il en reste suffisamment pour faire notre devoir de mémoire.
Autour du Port de la Rochelle, le trafic maritime exigeait une signalisation moderne. Faisant front au pertuis d’Antioche, le phare de Chassiron veille à la sécurité des navires depuis 1836. Cet amer de 46 mètres est reconnaissable à sa tour bicolore et par la fréquence de la rotation optique de sa lanterne toutes les 80 secondes. Télécommandée à distance, la fonction du gardien devient dès lors obsolète. La chambre de veille occupée par plusieurs générations de veilleurs sera définitivement désertée en 1998.
Avant de s’attaquer au Fort Louvois, vérifiez l’horaire des marées. Il faut partir de Bourcefranc-Le-Chapus sur le continent, pour atteindre à pied ou en bateau cette place forte en forme de fer à cheval. Comme la plupart des citadelles atlantiques, ce petit bijou est confié à l’architecte militaire Vauban qui y dessine un donjon moyenâgeux, une caserne…Comme le Fort Boyard, le but était de croiser les tirs de canons d’une terre à l’autre. Dans un parcours historique, vous pouvez participer à une enquête policière afin de démasquer les meurtriers du commandant du fort.
Pour z’yeuter les surfeurs affrontant les éléments autour de l’épave centenaire du Président Viera, il vous faudra traverser la plage de Grand-Village. Passé cette vague sportive, c’est le quasi désert. Les naturistes trouvent refuge dans ce no man’s land authentique aux dunes surélevées et vierges de tout stationnement. Au bout de cette odyssée, la Pointe de Gatseau annonce l’extrême sud de l’île d’Oléron et le terme d’une parenthèse sauvage.
Crédits photos: Julie Delan, Pic L&l et Diane Martin-Graser
Merci à ma famille – parents, oncles et tantes, à certains membres de l’Association Sportive Océane pour l’aide apportée – ce qui a permis la réalisation des photographies et de cet article original.